Les 7 clés de l’intersaison NBA 2020
Avant 2020, la NBA ne connaissait pas la récession économique. On peut certes arguer que les “lock-out” de 1998 et 2011 l’avaient déjà amenée à voir une baisse de son chiffre d’affaires. Mais qu’étaient ces grèves patronales si ce n’est des tours de vis momentanés afin de s’attribuer une plus grosse part des revenus ? Rien de très conjoncturel en soi. La croissance fait partie des fondements de la ligue, les scénarios pessimistes ayant toujours été écartés de la table au moment des négociations de convention collective. Pourquoi prolonger des batailles exténuantes, surtout si les revenus n’ont toujours fait que grimper ?
Les récents mois ont fait figure de violente piqûre de rappel. Heureusement pour la NBA, les décisionnaires des différents partis ont réussi à trouver de multiples accords pour maintenir la compétition, que ce soit avec la bulle de 2020 ou la saison à venir. Une entente qui ne doit pas faire oublier les nombreuses répercussions des probables pertes économiques à venir et des choix qui viennent d’être pris pour y pallier. L’intersaison 2020 sera la première à être frappée par ce séisme, une intersaison qui ne manquait déjà pas de spécificités avant les premières secousses.
Voici quelques clés pour comprendre le contexte dans lequel les signatures et transferts des prochains jours auront lieu. L’idée n’est pas de prendre les franchises une par une, mais de donner une vue macro de l’ensemble de la ligue, du climat dans lequel les transactions se dérouleront.
Clé n°1 : une saison 2020-21 viable économiquement ?
Commencer par la partie comptable n’est pas très convivial, mais derrière cette dernière se cache la matrice pour appréhender une des dynamiques de cette intersaison. Donc, les chiffres :
- Pour la saison 2019-20, la NBA projetait de réaliser un chiffre d’affaires (au sens du BRI, la gâteau partagé entre joueurs et propriétaires) de $8 milliards, elle a dû se contenter de $6.8 milliards.
- Pour la saison 2020-21, la projection en mars dernier était de $8.45 milliards.
Quand on sait que 80% des matchs de saison régulière de 2019-20 ont eu lieu avec des fans dans les arènes, on ne peut s’empêcher d’imaginer à quel point les objectifs de la saison à venir seront loin des anticipations prépandémie. La ligue a déclaré que 40% de ses revenus provenaient de ses salles (billetterie et ventes annexes). On comprend mieux pourquoi elle cherche malgré les consignes sanitaires à faire revenir les spectateurs aux abords des parquets (enfin, pas trop au bord non plus).
C’est d’autant plus important que l’ensemble des joueurs ont déjà collectivement $3.3 milliards de salaires garantis pour la saison 2020-21. Une somme à laquelle il faudra ajouter au moins $500 millions à la fin de l’intersaison. Si le total représente bien moins de 50% des revenus projetés censés aller dans la poche des joueurs (45% en l’occurrence), le scénario du pire (sans spectateurs dans les arènes) ferait bondir cette proportion à 75%. Oui, il existe « l’escrow tax » pour ce genre de cas, sorte de fonds de réserve préempté sur le salaire de joueurs. Le montant de ce dernier, d’habitude fixé à 10%, pourra monter jusqu’à 20% sur les saisons à venir et fonctionner sur plusieurs saisons. Dans le scénario du pire en 2021, cela ne suffit pourtant toujours pas à atteindre les 50% puisqu’on arrive à 59%.
La NBA est rarement imprudente dans ces situations et n’hésite pas à forcer la main des joueurs. Avant la bulle, elle avait déjà augmenté le montant de « l’escrow tax » à 25% pour au final en redonner les deux tiers. Malgré tout, sa position semble ici fragile, surtout si on rajoute deux facteurs.
Le 1er est que la saison 2020-21 sera plus courte avec 72 rencontres par équipe. Pour donner un ordre de grandeur, la saison de 2012 et ses 66 rencontres avaient amené à une perte estimée de $800 millions. Sachant que le salaire des joueurs ne sera pas diminué au prorata du nombre de matchs en moins pour 2020-21, c’est une perte conséquente en plus de celle du remplissage limité des arènes.
La 2ème, c’est l’absence d’annonce sur le Revenue Sharing, le mécanisme de redistribution des revenus entre franchises. D’après un rapport confidentiel de 2017, un certain nombre d’équipes sont en déficit avant ce partage. Avec des baisses de revenus à venir pour tout le monde, les transferts seront forcément plus faibles et donc les moins bien lotis pourraient finir la saison en position inconfortable. Étant donné qu’on est ici sur une gestion entre franchises et indépendante des joueurs, la ligue n’a pas à communiquer sur le sujet, mais il reste étonnant que rien n’ait fuité à ce propos.
Pourquoi expliquer tout ça ? Pas vraiment pour s’apitoyer sur les franchises, non seulement elles se dépeignent régulièrement pour plus pauvres qu’elles ne le sont vraiment (et certaines se sont déjà fait prendre la main dans le sac en annonçant des pertes fictives), mais surtout, elles ont collectivement engrangé atour de 8 milliards de dollars de bénéfices bruts entre 2013 et 2019 selon les estimations de Forbes.
Non, l’idée est de bien prendre en considération l’austérité financière qui pourrait devenir à divers degrés la boussole de certaines franchises. Dans le pire des cas, on peut se rappeler des incohérences sportives de la fin de l’ère des Maloof à Sacramento ou George Shinn du côté de La Nouvelle-Orléans. Mais même sans tomber dans de tels excès, revoir apparaître une logique économique dans la stratégie des franchises n’est pas à exclure, qui plus est dans un contexte de crise profonde qui touche de nombreux secteurs dont certains sont le gagne-pain de propriétaires : restauration et casinos pour Tilman Fertitta (Rockets), croisière pour Micky Arison (Heat), énergie fossile pour Clay Bennett (Thunder), la NBA en elle-même pour Jerry Reinsdorf (Bulls), etc… Par exemple, voir un 1er tour de Draft échangé contre du cash n’a rien d’inimaginable, un phénomène pas vu depuis 2013 pourtant.
Que retenir de cette 1ère clé ? Si la radinerie NBA était synonyme ces dernières années d’absence de dépense de Luxury Tax, nos standards pourraient nettement s’abaisser sur la saison à venir.
Clé n°2 : Une libre circulation mise à mal
On le sait tous, la cuvée 2020 des agents libres est faible, surtout avec les deux plus gros noms (Anthony Davis et Brandon Ingram) a priori hors de portée. Mais la faiblesse de la demande est peut-être encore plus importante. Seulement 6 équipes (ATL, NYK, DET, MIA, CHA, PHX, TOR) disposent potentiellement d’une marge sous le Salary Cap intéressante. Et encore, certaines parmi cette liste semblent peu à même de choisir cette voie (MIA, TOR). Mais se limiter au “Cap Space” pour décrire la Free Agency est trop réducteur, c’est oublier notamment les exceptions permettant de signer des joueurs en étant au-dessus du Salary Cap.
Armées de la Mid-Level Exception à $9.2 millions et de la Bi-Annual Exception (utilisable qu’une année sur deux) à $3.6 millions, la plupart des franchises peuvent malgré tout renforcer leurs effectifs de manière non négligeable. Mais ces deux exceptions ne sont pas sans compromis. Le plus important : elles activent l’Apron, un hard-cap correspondant à la Luxury Tax + $6 millions ($138.6M pour 2020-21). Dans une année de croissance normale du Salary Cap, cet aspect n’est gênant que pour les équipes déjà proches de la Luxury Tax. Mais sur une saison où ces seuils restent figés et où la majorité des salaires augmentent, la Luxury Tax et l’Apron font irruption bien plus rapidement dans les calculs.
Prenons le cas des Lakers par exemple :
En imaginant Anthony Davis prolongé au salaire maximum sur la saison prochaine, Bradley et McGee qui activent leurs options, KCP et Rondo qui eux ne l’activent pas et enfin Quinn Cook coupé. Dans cette situation, les Lakers se retrouvent à $24 millions sous l’Apron. En faisant jouer les exceptions citées ci-dessus pour ajouter des renforts, ils restent donc $11 millions pour prolonger ou combler des joueurs comme KCP, Rondo, Markieff Morris ou encore Dwight Howard. Une marge de manœuvre limitée qui résume bien l’aspect double-tranchant de ces exceptions : certes, elles vous permettent de signer de nouveaux joueurs, mais au prix d’une forte restriction pour prolonger vos joueurs ou réaliser des transferts en cours de saison. L’alternative est d’utiliser une Mid-Level Exception réduite, celle normalement réservée aux équipes au-dessus de la Luxury Tax d’un montant de $5.7 millions. Ça fait tout de suite moins rêver.
À noter que l’Apron s’enclenche aussi en cas de sign-&-trade comme ce fut le cas des Warriors l’an dernier avec le transfert de D’Angelo Russell, un hard-cap qui les avait notamment obligés à se séparer d’Andre Iguodala.
Que retenir de cette 2ème clé ? Non seulement le Cap Space est faible, mais les autres incitations aux mouvements des agents libres (et donc à faire jouer la concurrence) sont réduites, que ce soit au niveau des exceptions ou des sign-&-trade.
Clé n°3 : les contrats longs de nouveau à la mode
Des complications aux départs qui contrastent avec les avantages à la prolongation. On s’était habitué à ringardiser les contrats longs et la prime à la fidélité, mais cette intersaison rebat les cartes que ce soit pour les équipes ou pour les joueurs.
Pour les équipes, l’annonce d’une Luxury Tax réduite peut les convaincre de traverser le Rubicon pour conserver leurs joueurs. En effet, la ligue a annoncé que le tarif 2020-21 serait réduit de manière proportionnelle à la baisse du chiffre d’affaires de la NBA. Ainsi, si la saison se termine avec 20% de rentrées d’argent en moins, la Luxury Tax diminuera elle aussi de 20%. Au vu du climat économique évoqué précédemment, pas sûr que cela intéresse tout le monde, mais les franchises capables seront plus à même d’avaler la pilule pendant une saison au vu de la possible remise.
Pour les joueurs, deux intérêts :
1) Si les équipes concurrentes peuvent difficilement aller au-delà d’offres réduites comme on l’a vu précédemment, ce n’est pas le cas de l’équipe initiale. Les différentes “Bird Exception” à disposition des franchises pour conserver leurs joueurs n’enclenchent aucun hard-cap et possèdent des seuils maximums pour la plupart plus intéressants que ceux des Mid-Level Exception.
2) Elles ont aussi l’avantage d’offrir des augmentations de salaire de l’ordre de 8%. Or, parmi les récents accords entre la ligue et le syndicat des joueurs, on sait que le Salary Cap de 2021-22 augmentera entre 3 et 10%, idem pour 2022-23. Ainsi, parapher un contrat de 2/3 ans cette saison avec 8% d’augmentation pourrait être le choix financier le plus intéressant à moyen terme. Exemple avec Anthony Davis :
On peut voir que suivant l’évolution du Salary Cap, l’augmentation de 8% annuel permet de dépasser celle du salaire maximum. De quoi illustrer le phénomène suivant : dans une NBA où le Salary Cap grimpe rapidement, les contrats courts sont avantagés, car ils offrent la possibilité de suivre la croissance de ce dernier (et les équipes ont plus de Cap Space). À l’inverse, dans une NBA où le Salary Cap évolue peu, les contrats longs sont avantagés, car les augmentations salariales peuvent croître plus vite que ce dernier (et les équipes ont moins de Cap Space).
Que retenir de cette 3ème clé : avec une concurrence affaiblie et une Luxury Tax réduite, les équipes initiales des agents libres ont l’avantage. Un avantage qu’elles peuvent mettre à profit en proposant des contrats plus faibles qu’attendus, mais en concédant un nombre d’années plus élevé, faisant miroiter aux joueurs une prise de valeur du salaire sur le moyen-terme. Un compromis nécessaire, car les alternatives à la perte d’un agent libre ne sont pas là non plus pour les équipes.
Clé n°4 : 2021, eldorado ou mirage ?
Vu que l’on parle de moyen terne, la question de l’intersaison 2021 se pose. Annoncée plus riche, que ce soit avec le contingent d’agents libres ou la Draft, placer ses pions directement sur cette intersaison n’a t-elle pas plus de sens ? C’était le pari que de nombreux protagonistes voulaient tenter selon les rumeurs des dernières semaines. Mais ça, c’était avant que l’on sache que le Salary Cap de la saison 2021-22 ne pourrait excéder les $120M (augmentation de 10%) et que ce seuil devrait plutôt être de $112M (augmentation de 3%).
En décorrélant le Salary Cap de ses revenus, la NBA a le mérite de donner une vision assez claire sur les prochaines saisons. Une direction proche du “smoothing” qui avait été proposée il y a quelques saisons pour éviter une augmentation du Salary Cap en montagne russe. À la place, un faux plat monotone qui, s’il a le mérite de fixer le cadre, est sans doute en deçà des attentes des plus gros flambeurs de l’été 2021.
Surtout qu’il est bon de préciser certaines choses. Parmi les gros noms potentiels (Giánnis, LeBron, Kawhi, George, Davis, Gobert), une majorité font partie d’équipes légitimement candidates au titre et ont récemment choisi leurs équipes. Surtout que derrière une façade aguichante, la classe moyenne supérieure (Aldridge, Holiday, Oladipo) tient plus du lieutenant que du plan B à All-Star. Comme d’habitude, la plupart des joueurs en fin de contrat rookie (Tatum, Mitchell, Adebayo) devraient rester dans leur franchise.
Que retenir de cette 4ème clé ? Se positionner sur l’été 2021 peut être une tactique légitime, notamment si vous pensez avoir une chance de récupérer Giánnis ou si les équipes avec du Cap Space sont plus à même de vous offrir un gros contrat. Mais penser que l’intersaison prochaine éclipsera tous les soucis de l’actuelle tient plus du miroir aux alouettes qu’autre chose (ou un bon prétexte pour qu’un proprio de réduire ses dépenses). Surtout que…
Clé n°5 : chaises musicales > dominos
Surtout que croire que vous aurez le temps de bien juger les forces en présence du haut de votre colline pour définir votre stratégie risque surtout de vous amener à perdre la bataille avant même d’avoir combattu. Entre l’ouverture des transferts, la Draft, la Free Agency et le début de la saison, un seul mois se sera écoulé. Un timing express qui forcera encore plus que d’habitude les équipes à disposer d’un plan A peut-être moins ambitieux, mais rapidement exécutable.
La partie classique où tout le monde attend que le 1er domino tombe (extension de Giánnis par exemple) pour passer la seconde n’aura probablement pas lieu lors des prochains jours. À la place, un vrai jeu de chaises musicales devrait s’installer où les plus proactifs risquent d’être les gagnants. Un empressement des plus délicats du fait qu’il n’est pas encore très évident de savoir qui reconstruira en 2020-21. Comme évoqué plus haut, les difficultés liées au marché des agents libres pousseront éventuellement les franchises à utiliser la carte transfert pour répondre à leurs besoins. La plupart des transferts se tiennent entre des équipes avec des objectifs à court terme opposés. Typiquement, le favori au titre échange un tour de draft contre un vétéran d’une équipe à la recherche de jeunes talents. Deviner les équipes avec des ambitions est trivial, mais c’est moins le cas de l’autre côté du spectre. Les Hawks, Knicks, Bulls sont-ils encore prêts à attendre ? Le Thunder, les Rockets, le Magic désirent-ils tourner la page ?
Que retenir de cette 5ème clé ? Comme avoir une stratégie dépendante des concurrents est un vrai risque, la vitesse des transactions pourrait amener à une vraie cacophonie au lever de rideau. Mais trouver rapidement le bon interlocuteur ne sera pas aisé non plus.
Clé n°6 : L’importance des rotations
L’analogie avec les chaises musicales ci-dessus a l’avantage de souligner la célérité avec laquelle les décisionnaires devront agir. Mais elle possède sans doute le défaut de ne pas illustrer l’enchaînement incessant des sessions ni même les parties simultanées sur lesquelles vous pouvez vous placer ou ne pas vous placer, faute de temps justement. Généralement, une hiérarchie se dessine dans les différentes temporalités de la Free Agency : les stars dans un premier temps, les lieutenants en second, les rotations clés ensuite et enfin les fins d’effectif. Le temps imparti sera tellement resserré pour cette intersaison que ces distinctions devraient voler en éclat.
En particulier quand on prend une longue-vue sur la saison à venir. Entre les questions de blessures avec une reprise très rapide pour certains ou très espacée pour d’autres et celles des indisponibilités possibles liées COVID comme on peut le voir dans d’autres ligues sportives, la profondeur d’effectif ne sera-t-elle pas plus importante sur la saison 2020-21 ?
Que retenir de cette 6ème clé ? Le format de la NBA donne généralement l’avantage aux effectifs resserrés, une incitation à favoriser la qualité plutôt que la quantité lors des intersaisons. 2020 pourrait inverser la donne.
Clé n°7 : Le mystère COVID
J’aurais pu commencer par ce point tellement il plane au-dessus du futur de la ligue. Essayer de décortiquer chaque aspect spécifique à cette intersaison, imaginer les scénarios les plus probables, peser le pour et le contre de telle ou telle stratégie, à quel point tout ça n’est pas futile quand on sait que tout peut-être balayé comme ce fut le cas sur la dernière saison ? Les courbes COVID sont à la hausse aux États-Unis et dans presque tous les États, les premières annulations de matchs universitaires commencent à tomber avant même le début de la reprise, l’administration changera quelques semaines après la reprise NBA, certaines franchises mises sur les tests rapides, encore de nombreux points n’ont pas été fixés pour la reprise de la saison comme celui du calendrier…
À quel point un General Manager peut-il maîtriser quoi que ce soit dans un contexte où de violents soubresauts internes et externes à la ligue peuvent soudainement redistribuer les cartes ? Pourtant, les décisions devront être prises la semaine prochaine…
Que retenir de cette 7ème clé ? L’incertitude prédominera sur l’ensemble de la future saison, de quoi inciter à de la prudence et au recul dans les réactions aux mouvements qui auront lieu dans les jours à venir.
Renversement des tendances des dernières années, marché avec demande et offre réduite, temps de réflexion raccourcie, flou économique, flou sportif, flou dans tous les domaines en fait, de quoi former un ensemble de caractéristiques qui détonnent face aux exigences habituelles d’une intersaison NBA qui demande des engagements sur plusieurs saisons. On ne peut que souhaiter bon courage à tous les protagonistes de la Free Agency.