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Cahier des rookies: la métamorphose de Jayson Tatum

Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.

 

Commençons par un mea culpa: je n’aimais pas Jayson Tatum lors de la draft. Comme plusieurs observateurs bien mieux informés et compétents, je trouvais son jeu trop « old school » pour une NBA mettant de plus en plus en valeur le shoot extérieur et s’éloignant du jeu en isolation. Tatum m’a donné complètement tort: son début de saison est meilleur que tout ce que les observateurs, même les plus optimistes, pouvaient imaginer. Lui dont on craignait l’incapacité à s’adapter a semblé, dès ses premières minutes en NBA, être comme un poisson dans l’eau. Tatum est titulaire dans la meilleure équipe de l’Est, joue 30 minutes par soir et a un impact positif des deux côtés du terrain. Sa métamorphose en l’espace d’un été est un des phénomènes les plus surprenants de la saison: comment donc en est-on arrivé là?

Tatum était, à la fac, perçu comme un scoreur particulièrement habile, mais au style quelque peu anachronique. Donnez la balle à Tatum, il y avait de grandes chances que vous ne la revoyiez pas et que le jeune ailier décide de prendre un tir compliqué – en le mettant, souvent. Pour être clair, Tatum était un joueur ayant tendance à stopper le mouvement du ballon: 22.8% de ses possessions offensives se jouaient en isolation, souvent dans la zone à mi-distance. Derrière l’arc, ses pourcentages étaient moyens (34.2%), ce qui laissait craindre qu’il ait du mal à être vraiment efficace en NBA. Jetez un oeil aux comparaisons qui l’ont accompagné tout au long de l’année dernière: Rudy Gay, Tobias Harris ou Danny Granger entre autres, autant de joueurs individuellement de qualité n’ayant pas toujours la réputation d’être évidents à utiliser collectivement.

Affirmer que Brad Stevens est un des meilleurs coachs NBA est désormais une banalité, mais on ne peut s’empêcher de le répéter en voyant ce qu’il a réussi à faire en si peu de temps d’un tel joueur. C’est bien simple, les réflexes offensifs de Tatum ont complétement changé: de la mentalité de go-to-guy, chargé de marquer sur chaque possession, quand bien même cela passe par des tirs difficiles, Tatum est passé à un jeu incroyablement propre, où il se laisse guider par le collectif autour de lui.

Premier changement, spectaculaire. Lui, le roi du mi-distance, s’est converti au « Moreyball », cette approche mathématique qui part du principe qu’une attaque efficace repose sur les tirs les plus faciles (près du cercle) ou les plus rentables (à 3-pts). La shotchart de Tatum est, de ce point de vue, incroyable:

Regardez la zone intermédiaire, entre la raquette et la ligne à 3-pts: Tatum n’y prend plus qu’occasionnellement des tirs, alors que c’était sa zone d’expression favorite à la fac, là où son jeu le conduisait presque systématiquement! En plus d’avoir changé sa répartition de tirs, Tatum l’a en plus fait avec une efficacité insolente. Il tourne à 51.5% de réussite à 3-pts, un chiffre exceptionnel qui fait presque de lui… le meilleur artilleur de la ligue. Pour un joueur dont on s’inquiétait de l’adresse extérieure, le changement est presque trop beau pour être vrai.

Comment donc Brad Stevens s’y est-il pris pour rendre Tatum aussi efficace en attaque? La métamorphose passe par un réaménagement complet du type de tirs pris par ce dernier, que la Bubble Offense permet de visualiser. Cette méthode traduit sous formes de bulles de couleur les types d’actions offensives faites par chaque joueur: plus la bulle est grosse, plus le joueur a recours à ce type d’action; plus elle est en haut et à droite, plus il est efficace dans ce domaine. (Pour l’explication détaillée, je renvoie à cet article).

Observons donc la palette offensive de Tatum cette saison:

 

Première remarque: pour un rookie, le graphique est plus qu’encourageant. Un jeune joueur, même très bon, n’est souvent pas très efficace. Si on compare le graphique de Tatum avec celui de Lauri Markkanen, on se rend compte de la différence d’efficacité des deux joueurs: beaucoup de bulles de Markkanen, pourtant un bon joueur offensif, sont situées vers le bas, à gauche, alors que celles de Tatum montent vers la droite. Par ailleurs, et c’est sans doute là le meilleur signe, les bulles les plus grosses du graphique sont aussi celles qui sont les mieux placées. Cela signifie que Tatum, après seulement deux mois en NBA, est utilisé offensivement dans les domaines où il est le meilleur. Cette conscience de ses qualités – et, donc, de ses limites – est une force incroyable pour un jeune joueur. Certains vétérans feraient bien d’en prendre de la graine.

Si l’on rentre un peu plus dans le détail du graphique, on s’aperçoit d’abord que les supposés points forts de Tatum à la fac ont été limités par Brad Stevens. Isolations et post-up, qui supposent de rompre le rythme de l’attaque pour privilégier le un-contre-un, ne représentent plus que 14% des possessions de Tatum, un choix que les chiffres tendent à récompenser: si l’ancien de Duke est bon au poste, il n’est pas si efficace en iso. Autant, donc, limiter ce genre de tirs.

Pour créer un nouveau Jayson Tatum, Stevens lui a avant tout enlevé le ballon des mains. 35% des possessions de l’ailier sont des spot-up, c’est-à-dire des actions où il attend le ballon et tire directement (catch-and-shoot) ou drive vers le cercle. Dans ce domaine, Tatum est déjà un joueur d’élite, comme le montre la position de la plus grosse bulle du graphique. Souvent, Tatum attend dans le corner que le tir vienne à lui, tir qu’il rentre donc avec des pourcentages effarants, notamment grâce à une mécanique améliorée par rapport à l’an dernier:

Mais il est aussi suffisamment rapide pour prendre le dessus sur son défenseur lorsqu’il voit une ouverture et aller finir au cercle, comme ici face à LeBron James, rien que ça:

Stevens ne cherche pas forcément à utiliser Tatum comme un ailier toujours en mouvement, contournant les écrans pour dégainer très vite son tir. On voit que les bulles des tirs off screen ou hand off sont assez petites, comme celle des coupes près du panier. En revanche, il compte sur Tatum pour courir et faire le boulot en transition. C’est là que l’excellente défense des Celtics offre des opportunités au rookie. Lorsque Boston force un turnover ou récupère le rebond après un tir manqué de l’adversaire, les qualités de Tatum, qui est très rapide et a un bon dribble, lui permettent de scorer très efficacement en transition, que le graphique ci-dessus présente comme une zone où il est exceptionnellement efficace. Sur la vidéo ci-dessous, regardez avec quelle maîtrise Tatum identifie le repli défensif des Bucks et attaque le panier avec une grande maîtrise de son élan:

En somme, Stevens fait en sorte de simplifier le jeu de Tatum, de façon à ce qu’il s’adapte au collectif plutôt que le contraire. Encore fallait-il que ce dernier accepte cette adaptation et sache la concrétiser en étant efficace. C’est le cas, et cela se double de progrès tout aussi inattendus en défense, où Stevens met Brown et Smart sur les joueurs les plus difficiles à défendre, et charge Tatum de ce qui reste. Le jeune rookie n’est pas un monstre physique, mais il est malin et a toujours les mains actives,c e qui lui permet de voler des ballons ou de perturber son adversaire.

Autre signe très encourageant, visible sur le graphique: Tatum est très efficace sur les quelques possessions où il lui est demandé d’assurer la conduite du pick & roll. Plus généralement, il a montré qu’il savait voir ce qui se passait autour de lui, sans avoir le réflexe de penser tout de suite à shooter. Sa reconnaissance des coupes et des mouvements qui l’entourent amènent à des actions comme celles-ci, qui n’ont rien très compliquée mais qui sont typiquement celles que ne parviennent pas à réaliser un débutant lambda:

La passe, ici, est encore plus spectaculaire. Tatum comprend que Stanley Johnson a identifié la possibilité d’être lobé et lève les bras, et réagit en faisant une passe avec rebond:

 

S’il y a une chose que prouvent toutes ces analyses, c’est l’intelligence de Jayson Tatum. Avoir un coach aussi génial que Brad Stevens est une chose, être capable dès ses débuts en NBA de suivre les conseils de ce coach, de les comprendre et de maîtriser ce changement est une performance remarquable pour un rookie. Tatum a fait preuve, en un sens, d’une grande humilité en acceptant de voir son jeu ainsi modifié. Lui qu’on comparait parfois à Carmelo Anthony a fait dès cette saison le chemin que Melo n’a jamais accepté de faire en NBA, réservant cette métamorphose à Team USA: privilégier l’efficacité collective à l’expression individuelle, épurer son jeu pour être plus efficace, quitte à scorer moins. Le fait que Tatum soit un rookie arrivant dans une équipe déjà très performante explique évidemment qu’il ait eu à se plier à un tel changement, mais n’en rend pas moins méritoire la manière dont il a su gérer ce changement. L’intelligence des Celtics comme organisation a aussi été de ne pas surréagir à la blessure d’Hayward en demandant à leurs joueurs d’isolation (Irving et, donc, Tatum) de pallier ce manque, mais en pariant sur les vertus du collectif. Pari pour l’instant complétement réussi.

On ne doute pas que Stevens saura aussi accompagner la progression de Tatum en lui permettant de réinjecter, au fur et à mesure, plus de jeu de go-to-guy, lorsque ce dernier sera prêt à le faire de manière efficace. La métamorphose de Jayson Tatum est aussi, d’une certaine façon, une leçon intéressante sur la meilleure manière de responsabiliser un rookie. Contrairement à ce qu’on croit, donner à un jeune joueur les clés du camion d’une mauvais équipe n’est pas toujours une solution satisfaisante. En faisant cela, une franchise peut développer ou renforcer des habitudes individualistes qui, si elles se traduisent par des stats individuelles impressionnantes, freinent à long terme le joueur, qui n’est plus habitué à réfléchir dans un cadre collectif. Des joueurs comme Andrew Wiggins ou Devin Booker, pour ne citer qu’eux, ne pâtiront-ils pas, dans le futur, de ne jamais avoir été dans la position de role players où ils ont appris à passer derrière le collectif? Au contraire, le développement de Paul George, Jimmy Butler ou Kawhi Leonard montre qu’un jeune joueur – notamment à l’aile – peut devenir meilleur grâce à ce passage par la contrainte. Jayson Tatum, à n’en pas douter, prend ce chemin.

 

Si vous voulez en lire plus sur les rookies 2017, voici les quatre premiers épisodes du cahier des rookies:

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